Après avoir connu des décennies de violences, Medellín, la deuxième ville la plus peuplée de Colombie, s’est métamorphosée au point de devenir un exemple d’adaptation socio-écologique. La situation est loin d’être parfaite, et la montée du populisme n’arrange rien. Retour sur le chemin parcouru et les défis à venir.
Le soleil se couche doucement sur Medellín en ce mercredi 12 avril 2024. La majorité des habitants rentrent du travail, mais on aperçoit encore de nombreuses familles, des sportifs ou des promeneurs de chiens déambuler dans le Parque del Río. Jorge Pérez les observe avec le sourire depuis un café de ce parc récemment construit, qui apporte un peu de nature et de vie dans le centre-ville. Il faut dire que c’est un peu son « bébé ». Pendant des années, il a porté ce projet malgré les divergences politiques et les peurs du voisinage. « Depuis des décennies, le fleuve qui borde le parc était une décharge à ciel ouvert », constate l’architecte. « Medellín a aussi été construite pour la voiture, avec des autoroutes longeant le fleuve. Avec ce parc, l’idée était de réfléchir à construire une ville pour vivre et non pour des machines », ajoute-t-il. Aujourd’hui, le Parque del Río s’inscrit, comme bien d’autres aménagements, dans la renaissance de la deuxième ville la plus peuplée de Colombie.
« Medellín est l’exemple d’une ville du Sud qui tente, avec ses moyens, de s’approcher des modèles européens »
Medellín partait de loin et ressemblait, dans les années 1980, à une synthèse de toutes les crises qu’une ville de cette envergure peut connaître. Les déplacements liés aux conflits armés dans les campagnes ont entraîné une multiplication de maisons non déclarées dans la métropole ; l’accès à l’eau potable et à l’éducation publique était rudimentaire, les inégalités effrayantes, et bien sûr les cartels, dont celui de Pablo Escobar, ont été à l’origine d’une violence inédite. Jorge Pérez a grandi dans ce contexte qui aurait pu le conduire au désespoir. Pourtant, comme de nombreux citoyens, il a su faire preuve de résilience pour prendre soin de sa ville. « On aime profondément Medellín. Le plus simple aurait été de ne rien faire, mais on a fait énormément en vingt ans pour changer l’image de la ville », affirme-t-il. La ville a effectivement bien évolué depuis, et cette transformation a été distinguée par le prix « Lee Kuan Yew World City Prize » en 2016, grâce à la candidature du même Jorge Pérez pour qui « Medellín est l’exemple d’une ville du Sud qui tente, avec ses moyens, de s’approcher des modèles européens ».
Comment rendre une métropole moins violente, plus égalitaire et écologique ? En construisant un réseau de métro ambitieux relié à des metrocables (système de télécabines) pour améliorer la mobilité des habitants des comunas (quartiers) les plus défavorisées. Également en ouvrant un jardin botanique, en plantant de nombreux arbres et en traçant des pistes cyclables. Le Parque del Río peut aussi s’ajouter à une liste encore longue de projets qui ont été élaborés et débattus dans les années 1990, et qui ont pour la plupart vu le jour dans la décennie suivante. Le réseau de transport en commun est souvent salué, tant il est novateur pour une ville d’Amérique latine, mais pour l’architecte, la plus grande réussite est ailleurs : « Toutes ces infrastructures n’auraient jamais vu le jour sans l’investissement de la société. L’impact des leaders sociaux et des citoyens dans leur ensemble a été immense. » Le constat est similaire s’agissant du financement de ces grands projets. Pour cette figure de l’urbanisme de Medellín, cela s’explique par une moindre corruption et une habitude, qui ne se retrouve pas dans toutes les villes colombiennes, du paiement de l’impôt. Pour faire simple, selon lui, « Medellín n’est pas une ville de riches, mais une ville pleine de richesses ».
Toujours est-il que la situation n’est pas parfaite. Cette métamorphose métropolitaine a encouragé le tourisme, mais n’a pas éliminé la violence et les inégalités endémiques. Du point de vue environnemental, la ville est encore fortement émettrice de gaz à effet de serre. Les industries polluantes sont nombreuses, la présence des motos et des voitures ne cesse d’augmenter, et les entreprises en charge des transports publics continuent d’utiliser des bus de plus de quarante ans qui rejettent une fumée noire à chaque accélération. De telle sorte que le slogan « Medellín, ville où tout fleurit » ou le fait de tout ramener au métro sont des preuves de greenwashing pour Jorge Pérez Jaramillo. Il considère l’année 2016 comme un point de bascule, le moment à partir duquel les maires de tous bords se sont illustrés par leur populisme, leur absence de vision à long terme et leur incompétence. La récente gestion d’un pic de pollution de l’air, qui devrait, selon le maire Fico Gutiérrez, « diminuer avec la pluie », est un exemple de ce qui désespère l’architecte : « Pour résoudre un problème et prendre des mesures, il faut déjà le maîtriser scientifiquement ! ».
"Ces urbains aisés sont à la recherche de la nature, mais au final, on construit des lotissements qui la détruisent."
L’environnement des périphéries de Medellín est aussi menacé par l’arrivée de néo-ruraux en quête de nature. Jorge Gaviria Gómez, expert en design de paysage, évoque le manque de nature dans la ville comme un des facteurs de cette « migration verte ». Pour lui, « ces urbains aisés sont à la recherche de la nature, mais au final, on construit des lotissements qui la détruisent. Ils veulent aussi l’expérience rurale avec les services qu’on retrouve en ville, ce qui artificialise encore plus les sols, car il faut construire des magasins et autres bâtiments. Et je ne parle même pas du déplacement des paysans que cela génère ». Conscient qu’il est difficile de stopper cette dynamique, il appelle tout de même à la construction de communautés socio-écologiques, entre autres pour mieux protéger les écosystèmes, qui sont une richesse de la région.
Les défis restent nombreux pour adapter Medellín aux enjeux du XXIe siècle. À cet égard, Jorge Pérez Jaramillo préfère rester positif et rappeler le chemin parcouru : celui d’être passé de la ville la plus dangereuse du monde à un modèle d’urbanisme étudié dans le monde entier. À la fin de notre échange, une passante vient saluer l’architecte. Il nous glisse ensuite qu’il s’agit d’une voisine qui était opposée à la construction du Parque del Río, aujourd’hui pleinement satisfaite de l’infrastructure.
Sources :
Comentários