Dans le petit village d’Aberrojal, la construction d’un barrage hydroélectrique menace la protection d’une réserve naturelle et sa cascade, ainsi que les cultures alentours. Des débats qui rappellent les difficultés de développer des productions d’énergies sans conséquences environnementales.
Le chemin est long et sinueux pour parvenir à cette merveille naturelle. Comptez trois heures et demie en minibus depuis Medellín pour rejoindre Aberrojal, petit village typique de la région et méconnu des touristes étrangers. S’ensuit près de deux heures en "chiva", ces transports publics colorés à mi-chemin entre un bus et un camion, sur des routes non pavées. César Agudelo, guide et protecteur de cette réserve naturelle, nous rejoint alors pour débuter les cinq kilomètres de marche restants. La cascade du "Salto de los Aures" se mérite.
"Mon père a ouvert le chemin vers la cascade à la machette"
Cette chute d’eau de 460 m, qui a inspiré des communautés indigènes comme des poètes de l’indépendance colombienne, a longtemps été inaccessible aux curieux, notamment en raison des conflits armés. Mais quand son employeur le licencie en 2019, César décide de se consacrer pleinement à la mise en avant de ce joyau. C’est une histoire de famille. Son père, âgé de 86 ans, vit toujours dans la "finca", maison traditionnelle colombienne, à quelques centaines de mètres de la cascade, autour de laquelle on entretient des cultures écologiques de mangues et de cannes à sucre. César avoue qu’il a « toujours eu cette conscience environnementale. C’est un héritage qu’il aime à raconter : « Mon père a ouvert le chemin vers la cascade à la machette. »
En tant que guide, il assure un développement soutenable du tourisme vers la cascade. Mais il sait son projet en danger. La zone a été choisie pour construire une centrale hydroélectrique, ce qui ne serait pas sans conséquences sur les écosystèmes locaux et sur la quantité d’eau disponible pour les cultures alentour. Riche en eau, la Colombie a, depuis un demi-siècle, multiplié les projets de barrage de ce type, qui produisent plus de 70 % de l’électricité du pays, contribuant ainsi à se rapprocher de l’objectif de neutralité carbone. De nombreux spécialistes refusent pourtant de considérer ce moyen de production d’énergie comme soutenable. Les déplacements forcés, les menaces sur la biodiversité et la décomposition de la végétation, qui génère des émissions de gaz à effet de serre, sont autant d’arguments. Dans le pays, la corruption et les conflits armés n’aident pas à faire en sorte que les bénéfices économiques de ce genre d’infrastructures profitent aux communautés.
César Agudelo, professeur d’ingénierie hydraulique avant d’être guide, est aussi sceptique sur le rendement de la future centrale du Salto de los Aures : « Elle va produire 24 mégawatts par an, ce qui n’est rien en comparaison d’autres projets comme celui d’Hidroituango (mégaprojet hydroélectrique également en construction dans la région) qui va en produire 320 », nous dit-il.
"Ces 500 mètres de chute d'eau sont un patrimoine culturel et naturel depuis des siècles. Et ils vont le détruire..."
Le devenir de la cascade l’inquiète surtout. Déçu, il rappelle que « ces 500 mètres de chute d’eau sont un patrimoine culturel et naturel depuis des siècles ! Et ils vont les détruire… ». Luis Felipe Loaiza, directeur de l’exploitation de la centrale hydroélectrique d’Aures Bajo, nuance ces arguments. Dans un entretien avec El País, il considère que la communauté est souvent mal informée : « Ils disent aux villageois que l'eau disparaît, mais c'est physiquement impossible. Nous traitons l'eau, (...) nous la faisons passer par des turbines et nous la renvoyons ensuite dans la rivière avec plus d'oxygène et une eau plus propre. »
Le fleuve va dans tous les cas être dévié, ce qui affectera la cascade et, par conséquent, les cultures alimentées par ce cours d’eau, selon César : « Ils ont fait les études il y a vingt ans pour pouvoir construire la centrale. Mais, à l’époque, il n’y avait pas toutes ces cultures d’avocats qui consomment beaucoup d’eau. Les paysans cultivaient plutôt du café et du maïs, ce qui était moins rentable mais sûrement plus soutenable. » Dans ce sens, il est préoccupé par un potentiel assèchement. « Avec la construction de la centrale, ça devrait arriver plus vite que prévu », glisse-t-il.
Sources :
Rodríguez Becerra, M. (2019). Nuestro planeta, nuestro futuro, Debate
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